Dernière sortie avant le confinement (Jean-Claude Le Chevère)

Jean Claude, écrivain, habitant le quartier, nous a proposé depuis longtemps des balades littéraires dans le quartier. Il a aussi été souvent accueilli, lors de rencontres littéraires, dans les restaurants du quartier. Il fait partie, aussi, de l'équipe des bénévoles qui distribuent le journal du quartier. Ce texte a été rédigé suite à la distribution du dernier journal.

Lundi 16 mars. 8H30. Je me décide à faire la distribution du « Journal du CAR ». Depuis deux ou trois jours les annulations tombent les unes après les autres, alors est-il encore nécessaire d’annoncer la fête du printemps des 20 et 21 mars ? La page 2 fait cesser rapidement mon hésitation. L’hommage à Michel. Il faut qu’il soit diffusé. Le silence, si tôt, serait vraiment injuste.

Rue Emile Zola.
Personne dans la première partie. DRD électronique n’a pas encore tiré sa grille. Mais, plus loin, un rassemblement anarchique. De chaque côté de la rue, hommes et femmes sont attroupés en attendant l’ouverture des Restos du Cœur. Le monde est en train de changer, mais la misère, elle, demeure. Les entreprises, sous le Tertre, fonctionnent encore. J’y dépose quelques exemplaires. On répond à peine à mon salut. Tout le monde semble préoccupé.

Rue Luzel.
Je croise deux hommes, jeunes, décidés, qui discutent, hors du temps, de sujets qui, visiblement, les réjouissent. Sinon c’est le désert.

Rue du Tertre Marie-Dondaine.
Silence. Je n’entends que le bruit de mon souffle dans la montée. Malaise.

Rue du Pré-Chesnay.
Même impression. Je pense soudain au vers de Baudelaire : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle. » C’est vraiment ce que je ressens à cet instant. Une oppression qui s’installe peu à peu. Habituellement il y a toujours quelqu’un qui s’affaire dans son jardin, ou qui bricole devant chez lui, avec qui j’échange quelques mots. Ce lundi matin, personne.

Rue François Merlet.
Les Archives Départementales sont fermées et des engins effectuent des travaux dans la cour. Je n’aperçois pas leurs conducteurs.

Rue Robespierre.
Même impression de vide, le silence en plus. J’accélère l’allure.

Rue Danton.
Une seule voiture dans l’entrée du Garage Peugeot. Deux mécanos s’activent autour d’elle. D’un signe je salue l’un d’eux, de loin. Il me répond de la même manière, l’air fermé. En ce matin incertain le couvercle baudelairien s’est bien abattu sur le quartier.

Rue Louis Blanc.
9H30. Distribution terminée. Impression de soulagement.

Jean-Claude LE CHEVÈRE.