Mon enfance dans la vallée 1945-1955 par Maryvonne Bresset

Maryvonne Bresset a pratiquement toujours habité Robien. Marie-Claude l’a rencontrée parce que elles chantent ensemble, et elle fait aussi partie du petit groupe de marche « digestive ». Lors de leurs promenades dans la vallée du Gouédic, elle leur raconte toujours des anecdotes sur son enfance ou sa jeunesse . Elle a  pensé que ces paroles pouvaient être partagées avec les habitants du quartier.

Je suis née au moulin au chaix,dans la vallée du Gouédic, le 27 mars 1945 . C’est un ancien moulin à eau qui n’était plus en activité . D’ailleurs, la roue du moulin n’existe plus . Il était divisé en plusieurs logements occupés par des familles d’ouvriers, des maçons, des gens qui installaient les lignes EDF. Le propriétaire occupait tout le premier étage, et il y avait quatre familles dans les mansardes, et deux familles au rez de chaussée . On était au ras de la rivière, et tous les hivers, on était inondés . Les ponts n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, c’étaient des passerelles en bois,beaucoup plus basses . Les hommes regardaient, ils disaient « ça va passer » ou « ça ne va pas passer »...On était sûrs d’être inondés tous les hivers . Quand ça arrivait, le propriétaire nous hébergeait en attendant la décrue . Il nous logeait dans ce qu’il avait, mais on ne restait jamais très longtemps . On disait que l’usine Sambre et Meuse ouvrait les vannes de l’étang de Robien, je ne sais pas si c’était vrai, c’est ce qui se disait… 
Pour en revenir à notre logement, on était une famille de 6, quand tout le monde était là, dans deux pièces. On dormait dans la cuisine, dans des lits en fer qu’on pliait et qu’on dépliait le soir. L’hiver, on n’avait pas de quoi chauffer, on avait une cuisinière à bois, des fois on avait un peu de charbon quand on avait des sous . Une fois, maman était veuve déjà, j’étais toute seule avec elle. On avait mis la cuisinière en route, on avait mis du charbon . Je me suis réveillée dans la nuit ,avec un mal de tête . Ma mère me dit de prendre un cachet d’aspirine, c’était toujours le remède ! Je suis allée le chercher dans la cuisine . Elle ne m’a pas vue revenir, j’étais tombée par terre à cause des gaz dégagés par le charbon . Heureusement que personne ne dormait dans la cuisine cette nuit là... Toutes les familles vivaient comme ça . On n’avait pas de commodités, pas d’eau...Ils avaient fait des WC en bois, au dessus de la rivière . Mais nous, les gamins, on allait directement dans la rivière. Il y avait une fontaine, qu’on appelait « la carrière ». Aujourd’hui, on ne la voit plus, car il y a de la végétation, mais c’était du granit, et comme il n’y avait pas d’eau, on se servait à cette fontaine.Peut-être que le nom « les eaux minérales » vient de là , je ne sais pas...Il y avait une seule pompe pour tout le monde. Je me rappelle que maman allait chercher l’eau à la fontaine, et laver à la rivière.Tout le monde amenait sa boite à laver, il y avait des pierres , et les habitants du moulin lavait leur linge là.On mettait le linge à bouillir sur des trépieds, on le rinçait dans la rivière puis on mettait les draps à sécher sur l’herbe.Et nous les gamins, on jouait là...Dans la maison occupée aujourd’hui par un paysagiste,il y avait aussi plusieurs familles d’ouvriers.Il devait y avoir au moins une quinzaine de familles en tout .C’était vraiment un quartier d’ouvriers,qui travaillaient pour EDF. Il y avait un commerce, à la place de la longère du bas de la rue des eaux minérales, c’était un café, mais je ne l’ai pas connu longtemps, seulement 4 ou 5 ans .On se réunissait sur la place , en face du café,pour faire du cidre, pour le feu de la Saint-Jean, s’il y avait une réunion quelconque, c’était là que ça se passait.Il y avait déjà les caravanes,enfin, c’était une roulotte dans laquelle vivait la famille dont les descendants sont aujourd’hui dans les caravanes .A l’époque ,ils ne savaient ni lire ni écrire, et quand le facteur apportait les allocations familiales , c’était maman, qui avait travaillé chez un notaire, et qui signait pour deux ou trois familles qui ne savaient ni lire ni écrire. A la place de ce qu’on appelle maintenant le parc , à droite après la rue des eaux minérales, il y avait une prairie,le vacher descendait de la ferme, qui était sur Beauvallon,pour faire paître ses vaches .
A cette époque, le quartier de Beauvallon n’était pas construit, c’étaient de champs de blé,les gamins qui avaient circulé dans les champs se sont retrouvés au tribunal, et ont dû payer les pots cassés ! Dans la vallée, il y avait trois prairies, séparées par des haies, à la place du parc actuel. Si on prend le petit chemin à droite après le pont, sur la place, il y a une petite maison, aujourd’hui inhabitée, occupée à l’époque par une cartomancienne. Tout le monde allait la voir ! Si on continue ce chemin, on arrive à la carrière,la vraie cette fois...Mon père y était tailleur de pierre . La grosse maison en face, c’était la teinturerie,et la rivière était bleue… En partant de la place, après le pont à gauche, on monte et là, il y avait un étang.c’était un endroit où on n’avait pas le droit d’aller, car des enfants s’y ont noyés, mais on y allait quand même...
Dans la rivière aussi, des enfants se sont noyés . Moi je suis tombée dedans plusieurs fois . L’étang a été comblé par les déchets de la ville de Saint-Brieuc .Aujourd’hui, ça s’appelle la place Jacquard, et il n’y a jamais eu de construction à la place de l’étang. Nous, les enfants, on ne nous voyait pas de la journée . Il n’y avait pas de voitures, nos parents ne s’ inquiétaient pas . Les plus grands surveillaient les petits, on venait manger à la maison le midi, on repartait et on rentrait à la tombée de la nuit, quand il n’y avait pas d’école bien sûr...En fait, on vivait comme à la campagne, on était dans un village .Tout le monde se connaissait.Il y avait très peu de visites de l’extérieur, quelques connaissances, des gens qui habitaient dans les petites maisons des cheminots, près de la rue Anne -de- Bretagne, mais les Briochins ne venaient pas se promener par là. Moi j’allais à l’école Carnot, pour les filles, et les garçons allaient à Guébriant . On allait à l’école à partir de 5 ans, on allait tous ensemble, à mon époque, ça représentait une quinzaine de gamins . Je me rappelle que mes sœurs ne voulaient plus m’emmener, car je ne voulais pas aller à l’école . Dès que je voyais le toit de l’école, je commençais à hurler ! L’école Hoche n’existait pas à l’époque .
Après, je suis allée à l’école Berthelot. L’hiver ,il y avait de la neige, les garçons bricolaient des luges avec des bouts de bois .L’été, c’étaient de cabanes ou des tentes. Je me souviens d’un voisin qui sifflait pour faire rentrer les gosses à la maison, et ça marchait ! On ne sortait jamais de la vallée. D’un côté, c’était la misère, quand on voit tout ce qu’on a maintenant.. Mais on n’était pas malheureux, on avait beaucoup de liberté, on était heureux, on n’avait pas besoin de grand-chose. Et puis, on vivait tous de la même façon .Les femmes disaient « on va prendre le goûter », on allait dans la prairie, elles amenaient le pain, le beurre (quand il y en avait), on allait chercher des mûres, on les mettait sur notre pain . Nos mères tricotaient, et nous on jouait.