D'un monde à l'autre par Lucienne Gay
En lisant cette histoire très librement inspirée par un conte japonais, vous pourrez reconnaître la fresque, peinte par Marine Biteau et Deuxben sur un mur de l’ancien magasin Tinier-Morin aujourd’hui démoli.
Ito San était un peintre très habile.
S’il peignait des poissons ! 0n aurait dit qu'ils nageaient. Des oiseaux ! Qu’ils volaient !
Il avait plusieurs chats et aimait les dessiner en quelques rapides coups de pinceau. Alors on pouvait croire qu’un chat allait sortir de la feuille de papier pour venir ronronner sur vos genoux ou au contraire que celui qui était en colère tous poils hérissés, allait vous sauter dessus.
Bref, on aurait dit que ce qu’il peignait était vrai
Il avait l’habitude d’aller se promener dans une friche près de chez lui.
Un jour, tout en marchant, il donne des petits coups de pieds dans des cailloux.
Et toc par-ci et toc par là.
Et voilà qu’un caillou roule, roule devant lui et disparaît dans un trou qu’il n’avait jamais remarqué auparavant.
Il s’approche, le trou est large, et a l’air très profond. Comme il y a une échelle et que Ito San est curieux … Il descend dans le trou.
Il descend… descend … s’enfonce dans l’obscurité…. C’est interminable …
L’ouverture du trou paraît de plus en plus petite tout là-haut.
Ah ! Enfin ses pieds touchent le sol.
Il y a un tunnel et au bout du tunnel, on dirait qu’il fait jour !
Et là, quelle surprise !
Il a changé de couleur pendant sa longue descente dans l’obscurité. Le voilà entièrement vert. Et en plus, un de ces petits nuages roses que l’on voit flotter dans un ciel tout bleu a remplacé son chapeau.
Au loin un seul petit arbre bien vert se dresse au milieu d’une étendue de sable jaune vif.
L’ombre orangée du petit arbre s’étale largement devant lui car le soleil est bas à l’horizon. Est-ce qu’il se lève ? Est-ce qu’il se couche ? IIo San ne sait pas.
Et surtout il y a une femme ! Comme elle est belle ! Ses yeux cristallins brillent d’une lueur étrange. La lune ou peut-être un soleil erre dans sa chevelure luxuriante tel un paysage de cascades, de forêts, de monts enneigés ...
La femme dit à Ito San qu’il ne peut pas rester là, car un Oiseau Gigantesque va bientôt arriver pour l’emporter dans son royaume et la dévorer comme il l’a fait avec tous gens de son village dont elle est la dernière habitante.
Ito San pense qu’il a peut-être un moyen pour la protéger. Il lui demande de quoi dessiner. Elle trouve, du charbon, de la peinture, de la craie. Ito San dessine et peint, partout où c’est possible, une horde de chats sauvages très très en colère, de toutes les tailles avec des dents pointues et des griffes redoutables, prêts à bondir ...
Il a à peine terminé que l’on entend des grands battements d’ailes et le ciel s’obscurcit.
Vite, Ito San et la femme se cachent.
- Couac Couac Couac, Femme où est tu ? piaille l’Oiseau
Mais, à la place d’une voix de femme, on entend des miaulements sauvages, des feulements effrayants, un combat terrible a lieu !
Et soudain tout se calme ! C’est le silence !
La femme et Ito San sortent prudemment de leur cachette.
Tous les chats sauvages sont tranquillement à leur place. Certains ont quelques plumes accrochées à leur poil, d’autres se lèchent les babines d’un air satisfait .
- Voilà, maintenant tu ne risques plus rien ! a dit Ito San
La femme lui demande de rester auprès d’elle pour reconstruire le village. Mais Il ne peut pas rester ! Sa propre femme l’attend là-haut pour déjeuner et elle doit être très inquiète de son retard.
Ito San retourne au pied de l’échelle et il se met à grimper, comme c’est long ! Encore plus interminable que la descente et il se demande ce qu’il va pouvoir raconter pour son changement de couleur. Il arrive enfin hors du trou et là aussi :
Quelle surprise !
Sa peau a repris sa couleur naturelle, ça c’est bien !
Mais, en revanche, il ne reconnait plus rien :
A la place du terrain vague, il y a un parking plein de voitures, un hôtel trois étoiles, des magasins … il s’avance dans sa rue. Là non plus il ne reconnait plus rien.
Les couleurs des volets, des grilles … Tout a changé. Il sonne à sa porte. C’est une jeune femme qui ouvre, elle est accompagnée de deux jeunes enfants. Il demande : C’est bien la maison du peintre Ito San ?
Le peintre Ito San ! 0ui, il a habité ici il y a très longtemps. Les anciens propriétaires m’en ont parlé. Il a disparu sans laisser de traces et sa femme en est morte de chagrin. Elle a été enterrée au cimetière.
Ito San est abasourdi, il croyait s’être absenté une seule journée ….
Il va au cimetière et trouve en effet la tombe de sa femme. Elle est couverte de mousse et entourée de mauvaises herbes. Il se penche pour arracher une touffe d’herbes ….
- AÏE Aîe ! Arrête ! Pourquoi tu me tires les cheveux ! Dit sa femme en se réveillant à côté de lui dans leur lit ...
Lucienne Gay