Raconter l’histoire du quartier, c'est créer des liens.
Entretien avec un chercheur-amateur passionné.
Nous sommes en ce début mai à la 7e semaine de confinement et si vous êtes amateur d'histoire, vous vous êtes habitués à lire ses articles.
C'est le moment pour faire le point avec Richard Fortat sur ce qui l'a motivé à faire ce travail et sur ses projets à venir dans ce domaine.
Sur la suite à donner à toutes ces découvertes, les idées ne manquent pas : un livre d’histoire illustré, un guide à vocation touristique ou un cahier d’activités pour les enfants, une bande dessinée, des parcours de découverte des rues, des carnets de voyage ou un sujet de film ! Avis aux créateurs !
Comment peut-on écrire sur l’histoire de Robien en ce moment?
Il y a un an déjà, j’avais collecté de nombreux documents aux archives départementales et municipales. C’était pour creuser le thème de l’histoire de Robien que nous n’avions pas assez abordé dans la dynamique EcoQuartier.
En prévision du café de l’architecture qui devait avoir lieu à Robien en juin, j’avais intensifié ces recherches et publié plusieurs articles sur les friches industrielles du quartier. Je ne pensais pas que le confinement me donnerait deux mois pour mettre en forme et enrichir la masse de documents accumulés. Je me passionne pour l'histoire mais les circonstances ont accéléré mon envie de me plonger dans l'histoire de Robien et de la transmettre.
A raison de cinq heures de travail par jour en moyenne sur le sujet, on finit par obtenir un résultat.
Qu’est-ce qui est différent dans cette période de confinement ?
On ne peut plus se rendre physiquement aux archives départementales ou municipales, à la bibliothèque. Bien sûr il y a leurs ressources en ligne mais tout n’est pas numérisé, loin de là. Et ça ne remplace pas le contact. Aux archives municipales, par exemple, je peux toujours compter sur Stéphane Botrel qui connaît si bien l’histoire de St Brieuc. Il est de bon conseil et connaît très bien les petits trésors des archives de la ville.
On ne peut plus sonner à une porte pour demander un renseignement à quelqu’un du quartier, je mets plutôt un mot dans la boite aux lettres avec mes coordonnées. Les mails et les entretiens au téléphone, ça fonctionne très bien aussi…
Après les articles sur les friches, c’était quoi l’idée ?
Dans un second temps, au début du confinement, il m’a semblé que l’histoire des rues était un bon thème et que ça permettait à tout le monde de s’y retrouver. Le problème c’est le temps que ça demande si on veut faire un travail sérieux. Par exemple sur la Croix-Perron, j’ai dû consulter sur le site des Archives départementales en ligne tous les exemplaires de l’hebdomadaire La Croix des Côtes du Nord pour les années 1901 et 1911. Même chose avec les recensements de la population en 1901 et 1906.
Les photos aériennes sont aussi très intéressantes, je recommande en particulier le fonds photographique Roger Henrard, avec des photos de grande qualité des années 50 et 60.
Il faut retrouver, quand on le peut, des plans anciens comme ceux de la Bibliothèque Nationale en ligne, on les trouve sur le site Gallica.
Enfin, les personnes ressources sont indispensables dans ces recherches et là j’ai eu la chance de pouvoir compter sur des gens du quartier comme Gérard Huet et Claude Le Sayec qui m’ont bien aidé au début. De son côté, André Bougeard m’a fait connaître sa très belle collection de photos et de cartes postales anciennes. Claude Corack, un ancien habitant du Tertre Marie-Dondaine m’a donné des numéros de téléphone de ses copains de jeunesse. Les « anciens » du comité de quartier ont aussi donné des tuyaux, ainsi que certains de nos partenaires des services de la Mairie avec qui les liens ont été maintenus.
Il y a un mode d’emploi pour écrire l’histoire du quartier ?
Ce qui est montré au travers de cette recherche sur la Croix-Perron on peut l’appliquer sur les autres thématiques. La recette est la suivante : utiliser comme base un fonds de documentation avec des documents des archives municipales, consulter les archives départementales en ligne (recensements, photos aériennes, presse locale depuis un siècle…), faire une recherche par mot-clé dans la base de données de la Bibliothèque Nationale et de la presse ancienne en ligne (Ouest-Eclair), constituer un réseau de personnes ressources sur le quartier, enchaîner les entretiens téléphoniques, interroger des personnes du quartier en mettant des courriers dans leur boite aux lettres, profiter des temps autorisés d’aération pour faire beaucoup de photos et rencontrer à distance des habitants… Après, c’est de l’écriture et de la mise en forme avant de publier.
Ce travail sur les rues est énorme mais j’ai quasiment un dossier par rue avec des photos, des articles de journaux, des débuts de textes déjà écrits.
Ce n’est plus qu’une question de temps avant de le proposer aux lecteurs. Il faut compter quelques mois (ou quelques années ?) avant de faire aboutir complètement le projet…
Il y a d’autres projets que les rues ?
Les différents types d’habitat, c’est aussi un thème fédérateur. L’idée est de le présenter sous forme d’une enquête collaborative, c’est à dire qu’il faut bien présenter le sujet, donner quelques exemples et inviter les lecteurs à enrichir le contenu. A chacun de présenter sa maison comme il l’entend, en la décrivant, en parlant des changements qui ont eu lieu ou du projet si c’est une construction neuve ou une importante rénovation, en envoyant de vieilles photos ou en racontant des anecdotes du passé, en fouillant dans les actes de vente…
Onze articles ont été publiés et les contributions ont été vraiment très intéressantes. C’est une mine de renseignements et des habitants s’en rendent compte. Voilà ce qu’une personne m’a écrit : « Dans les rues sans voiture, nous découvrons les maisons avec des architectures ou parfois simplement des détails étonnants. Prenons enfin le temps de regarder!».
Mais il y aura d’autres thèmes développés dans les semaines et mois à venir : l’histoire des commerces, des entreprises, de la paroisse de Robien…
Est-ce que ça s’adresse à des personnes qui ont déjà des connaissances en histoire ?
Pas du tout, j’essaie d’utiliser un vocabulaire de non-spécialiste. Certains articles peuvent servir de base à des promenades-découvertes en famille comme à partir de l’article sur les signes bretons sur les maisons ou les quiz, avec des photos.
L’histoire de Robien on en a déjà entendu parler, il y a vraiment du nouveau ?
J’entendais souvent des gens dire que Robien a un riche passé ouvrier mais à part ça qu’est-ce qu’on pouvait mettre derrière ? Est-ce qu’on pouvait lire dix pages sur le sujet ? A ma connaissance, non. Et l’histoire de ce quartier c’est beaucoup plus vaste que le passé ouvrier. On peut parler du Manoir de Robien, de la paroisse, de l’Institut des sourds et muets, de l’activité commerciale, des différents styles architecturaux présents etc.
On ne partait pas tout à fait de rien car en particulier dans le comité de quartier, il y avait eu quelques bons articles dans les journaux du CAR des années 90. Mais il était utile que quelqu’un se mettre à la tâche pour produire un plus grand volume d’écrits et mettre à disposition ce qui peut être rassemblé. C’était dans mes cordes car, depuis une quinzaine d’années, j’ai publié des articles et des livres qui mettent en valeur l’histoire de groupes ou de personnes peu connues. Mais je ne vis que depuis trois ans à Robien, j’avais besoin d’un peu de temps et les circonstances de ce confinement ont créé les conditions pour que ça puisse se faire.
Internet est-il le meilleur outil pour diffuser et transmettre cette histoire ?
Internet permet de faire connaître rapidement les résultats de la recherche en train de se faire. Mais le site du CAR m’oblige à séparer le texte et les images, cela ne rend pas la lecture très aisée.
Je me suis aussi rendu compte que beaucoup de personnes accèdent au contenu uniquement via leur Smartphone et là, c’est un problème. On ne peut pas lire un long article sur un écran de téléphone.
L’autre écueil est que l’on ne touche pas le public des personnes plus âgées qui préfère souvent lire sur du papier.
La prochaine étape consistera à en définir le support final idéal. Si on garde beaucoup de contenu, on peut en faire un livre d’histoire illustré, si on en reprend seulement des extraits, il y a matière à faire un guide à vocation touristique ou un cahier d’activités pour les enfants. On peut s’en servir comme documentation pour réaliser une bande dessinée. On peut proposer des parcours de découverte des rues ou ces promenades pourraient devenir le prétexte de carnets de voyage ou d’un sujet filmé.
A St Brieuc et dans les environs, Il existe des talents locaux pour mener à bien de tels projets...
Pour le moment tout est possible, on peut encore rêver !
Est-ce que dans cette période c’est aussi important que ça l’histoire du quartier ? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres priorités ?
Partir d’un quartier où il n’y a pas de monuments importants, pas de personnes très célèbres pour en écrire l’histoire, c’est une sorte de défi. Mais l’idée de donner une fierté aux habitants d’un quartier, en montrant qu’ils possèdent des richesses insoupçonnées, ça en vaut la peine.
Connaître son environnement proche, le territoire où on s’enracine, ce n’est jamais un luxe.
Donner à comprendre ce que les générations précédentes y ont vécu, c’est tisser des liens et c’est toujours enrichissant. C’est une dynamique de transmission et il faut espérer que ça ne s’arrêtera jamais.
Quand on est imprégné de l’histoire, dans le cas qui nous occupe c’est l’histoire du quartier, quand on se déplace dans l’espace, on se déplace aussi dans le temps. A moins d’avoir une machine à remonter dans le temps (qui n’existe pas) ce n’est pas possible autrement. Quand on s’instruit et que l’on possède cet outil, c’est une chance que l’on se donne pour voir la vie d’une autre façon.
Alors s’il y a bien un virus qu’il faut développer, c’est le virus de l’histoire !
mai 2020